Photodrame, c’est ce qui reste quand le corps s’en va mais que la mémoire persiste, amputée, délirante. Les morceaux sont des lambeaux de souvenirs passés au crible d’un désespoir minutieux. On y entend des hôpitaux mentaux, des ruelles vides, des baisers donnés trop tard. Tout y suinte l’irrévocable. Je ne sais pas si c’est beau. Je sais seulement que c’est exact. Certains y verront un écho post-punk. Mais il n’y a pas d’hommage ici. Juste une chronique de l’érosion, une cassette qui s'efface lentement — comme nous. À celles et ceux qui nous écouteront : ne cherchez pas la lumière. Photodrame est un vitrail noir. Nous l’avons fait pour qu’il ne laisse rien passer. Pas même l’oubli.
Notre musique gît ici, offerte comme une eau noire au passant assoiffé. Non par bonté, mais par une sombre fidélité à nous-mêmes. Depuis toujours, nous avons refusé les salamalecs du commerce, les circuits policés qui empaquettent l’urgence comme un bibelot tiède, sous cellophane. Les plateformes de streaming, avec leurs sourires d’usuriers, transforment le désespoir en rente ; nous leur opposons l’ombre close d’un sanctuaire clandestin, une chapelle de fortune où le vacarme du monde n’entre qu’assourdi, comme à travers un vitrail brisé. Nous refusons que la rareté devienne idole et spéculation. Les cassettes et les vinyles originaux de Trop Tard circulent aujourd’hui à des sommes délirantes, fétiches poussiéreux que se disputent des collectionneurs fiévreux, très loin de la blessure initiale qui les a fait naître. Ce ballet d’enchères trahit ce que nous avons toujours été : artisans obstinés du fait-main, bricoleurs nocturnes dans des caves humides, et non marchands compassés d’objets de luxe destinés aux vitrines éclairées d’un faux paradis. En livrant nos enregistrements à tous, d’un seul geste, nous refusons que le marché s’empare de notre histoire, qu’il la range dans ses vitrines comme un insecte épinglé. Les reliques physiques demeurent, pour ceux qui aiment fouiller les bacs poussiéreux et respirer l’odeur rance du carton ; mais l’essence, elle — les sons, les mots, le souffle rauque d’une nuit sans sommeil — doit rester hors de portée des doigts glacés du commerce. Ce lieu n’est pas une devanture pour badauds. C’est une archive vivante, un caveau vibrant, un acte de résistance murmurée contre ceux qui rêveraient de faire de notre chute une marchandise rare, un trophée de spleen à poser sur une étagère. Si vous désirez recréer vos propres cassettes, tout sommeille ici, prêt à renaître : fichiers audio aux contours précis comme un couteau, scans des pochettes originelles avec leurs couleurs fanées, leurs halos opalins, listes de morceaux comme autant d’incantations maladroites. Faites-les revivre à la main, à votre manière, avec la lenteur sacrée des gestes inutiles. Nous ne vendons aucun talisman, aucun objet sacré ; nous plaçons simplement dans vos mains les outils du rituel, les fragments de matière à transformer en reliques personnelles. Prenez ces sons. Laissez-les s’infiltrer dans vos nuits, dans vos rues mouillées, dans vos chambres où le plafond pèse comme un ciel bas. Ils ne nous appartiennent plus. À vrai dire, ils ne nous ont jamais appartenu : ce ne sont que des éclats de nuit arrachés au silence, des braises anonymes, offertes à quiconque porte encore, au fond du cœur, un peu de ce spleen fiévreux qui cherche une musique pour se dire.